A l’espace eau ce dimanche après midi, un petit groupe se forme pour aborder une des questions essentielles de ces dernières années : la financiarisation de la nature. Avec la prise de conscience des causes anthropiques du réchauffement climatique, notamment par l’émission excessive de gaz à effet de serre, de nombreuses réflexions ont été engagées pour tenter de limiter les activités polluantes de l’homme. Une des pistes qui a été développée depuis le protocole de Kyoto est celle de la création d’un marché du carbone afin de comptabiliser et d’accorder des droits limités à l’émission de gaz carbonique dans l’atmosphère par les industries polluantes. En Europe ce marché a été décliné au niveau communautaire depuis une dizaine d’année. Dans ce processus, chaque activité de l’homme peut être comptabilisée par l’émission de CO2 qu’elle produit. Si l’idée peut paraître intéressante pour forcer les industriels à limiter leurs émissions, sa mise en place n’a pas eu les résultats escomptés. Trop de permis ont été délivré aux industriels, ce qui a engendré une dépréciation du coût de la tonne carbone, rendant l’achat de titre à polluer supplémentaire très accessible pour de nombreuses industries. Les émissions de gaz a effet de serre n’ont donc ni diminué, ni stagné comme on aurait pu l’attendre.
L’autre enjeu lié à ce marché de carbone est le fait de mettre un prix sur la nature en ne l’envisageant plus que par le prisme de sa valeur carbone. Ainsi les forêts, la biodiversité, les océans commencent à avoir des valeurs carbones, qui sont ensuite négociées sur les marchés financiers. Les industriels, au lieu de réduire leurs émissions, vont ainsi préférer investir dans la protection de zones naturelles, comme c’est le cas de General Motors en achetant des parcelles de forêts au Brésil. Cette logique va à l’encontre de la singularité de chaque écosystème et de la nécessité urgente de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, en investissant dans la protection de zones forestières dans les pays du sud, les grandes multinationales privent les populations autochtones de tout droit sur la forêt, alors qu’elle représente souvent pour eux, une ressource vitale à leur existence.
Ce mécanisme de financiarisation de la nature se prépare désormais aussi pour la ressource eau. Avec sa raréfaction progressive dans de nombreux pays, l’enjeu de son contrôle, de sa sauvegarde et de sa distribution est devenu crucial. Le processus de fixation de prix sur les services environnementaux rendus par l’eau est actuellement en marche, rendant par la suite possible sa négociation sur les marchés financiers. La marchandisation de l’eau prend donc petit à petit le pas sur le mouvement pour le droit à l’eau enclenché depuis plusieurs années déjà.
Cette marchandisation, encouragée notamment par les grandes multinationales françaises de l’eau, réunis dans le conseil mondial de l’eau, s’oppose à de nombreuses alternatives qui se développent et qui vise à considérer l’eau comme un bien commun de l’humanité, devant être rendu accessible à tous. Une première victoire a été remportée en 2010 avec la reconnaissance par l’assemblée générale des nations unis d’un droit à l’eau comme élément constitutif des droits humains fondamentaux.
Tout l’enjeu de ces prochaines années sera donc d’établir un rapport de force entre ces deux visions, qui s’affrontent notamment lors de la tenue régulière du Forum Mondial de l’eau et de celui du forum alternatif mondial de l’eau.
Guillaume Dechazourne