Synthèse :
Le revenu de base était très présent à Europie. Plusieurs ateliers étaient mis en place, allant du visionnage de vidéo, à la conférence en passant par le débat. Idées vieille et neuve à la fois, proposer de donner un revenu garanti à tous les individus de manière inconditionnelle a soulevé les interrogations des festivaliers. Quels financements ? Quelles conséquences et quelles justifications ? Enfin quel intérêt cette idée peut-elle avoir pour les petits débrouillards ?
A mon grand étonnement, le revenu de base était un thème récurrent du festival Europie. En effet, un groupe « d’évangéliste du revenu de base », à l’occasion d’un tour de France du revenu de base1, sont venus animer trois ateliers sur le sujet. Très intéressé par le sujet je me décide avec guillaume d’aller faire ces ateliers et voir ce qu’il devient de ce serpent de mer des propositions pour changer le monde (on peut aussi y inclure la taxe Tobin). Mais tout d’abord, qu’est que le revenu de base ?
Le revenu de base, aussi souvent appelé revenu d’existence ou allocation universel, consiste à donner un revenu inconditionnel à toute une population permettant de satisfaire ses besoins essentiels de sa naissance à sa mort. Cela signifie qu’un individu recevrait une « somme » fixe par mois sans contrepartie. Deux questions reviennent en permanence sur le sujet : le montant du revenu de base avec son financement et les justifications du revenu de base.
L’idée du revenu de base se retrouve dans tous les courants politiques. Ce qui varie souvent c’est la question du montant de ce revenu et s’il doit comprendre ou non le prix du logement. On peut imaginer de séparer la politique du logement de celle des revenus. Même la forme du revenu peut ne pas être monétaire, il pourrait prendre la forme d’un ticket de consommation pour un certain bien essentiel. En terme monétaire le montant varie de 400 euros proposé par les libéraux à 1000 euros. Il faudrait dans ce dernier cas trouver d’autres sources de financement en s’attaquant par exemple aux paradis fiscaux alors que la solution à 400 euros suppose juste une remise à plat des aides actuelles.
Il existe plusieurs justifications au revenu de base. On nous le présente souvent comme un outil qui permet de moins stigmatiser les bénéficiaires du revenu, dans la mesure où tout le monde recevrait ce revenu de base. Cet argument est un peu douteux car la stigmatisation se ferait alors entre ceux qui vivent du revenu de base et ceux qui disposent d’un revenu complémentaire issu du travail. Le revenu de base amène aussi à une simplification de l’administration. Plus besoin de vérifier les informations des bénéficiaires et du respect des conditions liés à l’aide. Cela évite des dépenses et permet de réallouer les forces administratives à des questions plus essentielles.
Le revenu de base, s’il est assez élevé, permet de libérer les forces positives entrepreneuriales de tous les individus. Savoir que l’on va disposer d’un revenu sans condition nous permet de nous lancer dans l’aventure de la création d’entreprises, d’association ou encore du développement personnel. Bien qu’il soulève des questions d’équité territorial- il faut plus d’argent pour vivre à Paris- ou de justice sociale -doit-on vraiment le reverser aux personnes aisée, le revenu de base propose un changement social radical important dont il est difficile d’en voir tous les contours et toutes les conséquences.
Fondamentalement c’est la question de notre rapport au travail qui est questionné. Le revenu de base permet de rééquilibrer le rapport de force entre l’employeur et ses employés. Les salariés ont alors le pouvoir de refuser un emploie qui ne leur plaît pas et donc permettre aux gens de choisir la vie qu’ils souhaitent mener.
Mais quel intérêt pour les petits débrouillards ?
Soyons fous ! Et si l’on créait un revenu de base au sein des petits débrouillards ? Analysons d’abord la situation et imaginons ensuite un monde libéré. Appuyons nous sur André Gorz dont je vais citer deux de ses arguments à l’instauration d’un revenu de base, sachant qu’il en a été un fervent opposant.
« Quand l’intelligence et l’imagination (...) deviennent la principale force productive, le temps cesse d’être la mesure du travail ; de plus, il cesse d’être mesurable. La valeur d’usage produite peut n’avoir aucun rapport avec le temps consommé pour produire (…) il devient de plus en plus difficile de définir une quantité de travail incompressible à accomplir par chacun au cours d’une période déterminée »
« L’allocation universelle est la mieux adaptée à une évolution qui fait du niveau général des connaissances la force productive principale et réduit le temps de travail à très peu de chose en regard du temps que demandent la production, la reproduction et la reproduction élargie des capacités et des compétences constitutives de la force de travail dans l’économie dite immatérielle. Pour chaque heure, ou semaine ou année de travail immédiat, combien faut-il de semaines ou d’années à l’échelle de la société pour la formation initiale, la formation continue et la formation des formateurs ? Et encore la formation elle-même est peu de chose en regard des activités et des conditions dont dépend le développement des capacités d’imagination, d’interprétation, d’analyse, de synthèse, de communication qui font partie intégrante de la force de travail postfordiste. »
Certains doivent déjà voir où je veux en venir. Il suffit de remplacer le terme « travail » par le terme « animation » et on se retrouve par comparaison dans la même situation. Combien d’heures de préparations, de coordination, de logistique, d’inspiration, de créativité faut-il pour réaliser une animation ? Il est impossible de compter les heures nécessaires à l’inspiration ou à la créativité. Sachant que nous construisons sur les fondations laissées par nos prédécesseurs tel que le wiki débrouillards ne faut-il pas concentrer nos efforts à son amélioration en créant, inventant de nouvelles animations ou de nouveaux déroulés qui permettront ainsi de capitaliser ces temps invisibles ? Combien d’animateurs se sont épargnés des heures de travail juste en communiquant avec le « bon » coordinateur ou l’animateur expérimenté ? Les heures passées à bidouiller au sens large dans notre cave ou notre cuisine pour tester d’anciennes manipulations ou en créer de nouvelles ne font-elles pas partie d’un temps d’auto-formation mais aussi d’une recherche-action sur nos connaissances et nos compétences ? Dans un métier profondément créatif et innovant ne faut-il pas justement décorréler les heures d’ « animation » avec le revenu ? Poser cette question c’est définitivement poser la question de la valeur. Ou se créer la valeur des petits débrouillards ? Doit-on uniquement corréler notre utilité à l’impact sur les enfants ou aussi sur les capacités élargies de l’association ? Peut-on imaginer un revenu de base, aussi bas soit-il, accordé à tous les animateurs et tous les employés ?
Les mêmes doutes au niveau de la société vont bien évidemment apparaître au niveau de l’association. Certains vont se lever de leur chaise, mais alors on aurait un tas d’animateurs qui au mieux passerait leurs temps à bidouiller et au pire resterait oisif ?
On peut supposer de manière positivement naïve qu’une sécurité de revenu entraîne un effet positif entrepreneurial supérieur à l’effet négatif de l’oisiveté. On verrait ainsi plus de projet autonome menés par les coordinateurs et les animateurs pour peut-être trouver de nouvelles manières de se financer. Un expérience a montré qu’en laissant les employés libres de faire ce qu’ils veulent une journée sans contraintes si ce n’est celle de présenter ce que l’on a fait ou tenté de faire la journée était extrêmement productive. N’oublions pas que travailler, communiquer, voir des gens et avoir une place dans une structure sociale ou une organisation est un besoin essentiel de l’être humain.
Enfin, il est extrêmement difficile de projeter ce que vont faire les autres dans le cas de changements drastiques telle que celui-ci. On peut à la limite le projeter pour soi-même. L’allocation universelle est un tel bouleversement dans le rapport au travail, au mérite, à l’engagement qu’il est inconcevable d’en déduire toutes les conséquences. Il en existe de plus des variantes en grandes quantité notamment sur l’inconditionnalité. On peut par exemple avoir une inconditionnalité partielle en demandant un minimum de « rendus ». Il reste bien évidemment la question du financement et de la faisabilité purement technique. Bien qu’imparfaites et très loin des préoccupations du moment, l’allocation universelle n’en reste pas moins une idée émancipatrice qui mérité d’être posée, questionnée voir expérimentée.
Sakada Ly